Résumés des 1ères JS > Résumé du prix de thèse 2020

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Lauréate du prix de thèse du RFMF 2020

Jeudi 25 juin 2020 15h00

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Dr Oriane Moyne

 

 Approche métabolomique pour l'étude de l'évolution adaptative de Pseudomonas aeruginosa au cours des infections pulmonaires chroniques dans la mucoviscidose

 

Laboratoire TIMC-IMAG, UMR CNRS 5525, équipes TheREx et EPSP

La mucoviscidose (cystic fibrosis en anglais) est une maladie génétique grave et incurable, qui touche environ 7000 personnes en France, 100 000 dans le monde. Elle est causée par une mutation du gène codant le canal CFTR (pour Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator), qui a pour fonction le transport des ions chlorures à travers la membrane apicale des cellules épithéliales. Les mutations du gène cftr à l’origine de la mucoviscidose conduisent à une absence ou une diminution de la fonctionnalité de ce canal, induisant une déshydratation et un épaississement du mucus qui tapisse les voies respiratoires. Ce mucus anormalement visqueux empêche la réalisation du processus de clairance mucociliaire (action de nettoyage réalisée par les cils vibratiles présents à la surface des cellules épithéliales). Ainsi, les patients atteints de mucoviscidose sont particulièrement sensibles aux infections respiratoires, qui constituent la principale cause de mortalité associée à cette maladie.

La prise en charge de la mucoviscidose a considérablement évolué durant ces dernières décennies notamment avec l’apogée des antibiothérapies, et l’espérance de vie des patients est passée de 8 ans en 1974 à près de 50 ans aujourd’hui. Cependant, ces traitements antibiotiques prolongés ont eu pour effet de sélectionner, parmi les différentes espèces présentes dans le microbiote pulmonaire des patients, celles qui avaient la capacité de résister à ces traitements. C’est ainsi que la bactérie Pseudomonas aeruginosa (Pa), reconnue par l’Organisation Mondiale de la Santé comme l’une des plus grandes menaces de santé publique du fait de son haut potentiel de résistance antibiotique, s’est imposée comme un pathogène majeur de la mucoviscidose. On observe aujourd’hui une prévalence de 80% chez les patients adultes, qui s’accompagne d’une exacerbation des symptômes respiratoires et une augmentation significative de la mortalité. Dans la plupart des cas, les infections ponctuelles ou intermittentes caractéristiques du jeune patient évoluent vers une colonisation chronique des voies respiratoires chez l’adulte par des clones de Pa ayant résisté aux traitements antibiotiques répétés. 

Avec le développement des techniques de séquençage d’ADN à haut débit, de nombreuses études ont porté sur l’évolution génétique de Pa par comparaison des génomes d’isolats séquentiels prélevés chez un ou plusieurs patients, afin d’élucider les mécanismes moléculaires à l’origine de ces adaptations. Cependant, ces études pionnières se sont heurtées à la difficulté à corréler les mutations accumulées sur le génome bactérien avec l’expression de phénotypes cliniquement pertinents (résistance aux antibiotiques, virulence), ainsi qu’avec l’impact clinique de l’infection sur le patient. 

Plaçant le métabolisme comme une signature fonctionnelle de l’évolution adaptative, l’objectif de ce travail de thèse fut d’offrir un nouvel éclairage sur la patho-évolution de Pa au fil des années d’infection chronique en comparant les profils métaboliques d’isolats cliniques représentant différents stades d’adaptation de la bactérie. Dans un premier temps, nous avons constitué une banque d’isolats cliniques de Pa, représentatifs de l’évolution clonale de la bactérie au cours de l’infection pulmonaire chronique chez 32 patients adultes atteints de mucoviscidose suivis à Grenoble. Dans un second temps, nous avons caractérisé les patients de la cohorte au plan clinique, par la construction d’indicateurs de la santé respiratoire, ainsi que isolats bactériens au plan phénotypique (mesure de nombreux phénotypes associés à la virulence et à la résistance aux antibiotiques). Nous avons également défini les profils métaboliques des isolats par métabolomique non ciblée à haute résolution (HPLC-HRMS) sur cultures bactériennes. Finalement, la clé de voûte de ce travail fut d’intégrer l’ensemble des données cliniques, phénotypiques et métabolomiques par des méthodes statistiques multivariées et multi-échelles, afin d’identifier les voies métaboliques susceptibles de signer une évolution adaptative parallèle des souches infectant différents patients, ou associées à l’expression de phénotypes d’intérêt clinique, ou à l’état de santé respiratoire du patient. 

Parmi les résultats majeurs de cette étude, nous avons pu mettre en évidence une implication de la voie de synthèse des polyamines (putrescine, spermidine) dans l’expression de phénotypes de virulence. Des analyses complémentaires réalisées après publication de ce manuscrit ont également démontré que le niveau de production de ces molécules était également associé à une augmentation de la fréquence des exacerbations cliniques, phases de crises transitoires particulièrement sévères pour le patient (Moyne et al. 2020, soumis à Nature Microbiology). Ces résultats sont discutés en détail au regard de la littérature existante, suggérant ainsi qu’une augmentation importante de la synthèse de polyamines par Pa pourrait signer un emballement de la croissance bactérienne, associée à une augmentation de l’inflammation et à la survenue d'exacerbations. Une analyse statistique originale, concentrée sur les différences entre les profils métaboliques et de résistance antibiotique entre des isolats précoces et tardifs prélevés à plusieurs années d'intervalle chez nos 32 patients, a permis également de révéler un unique métabolite (parmi les plus de 2000 pics détectés), statistiquement prédictif de la résistance aux beta-lactamines. De manière intéressante ce métabolite, le L-Ala-D-Glu-meso-diaminopimelate, est connu pour être impliqué dans le recyclage du peptidoglycane de la paroi bactérienne, principale cible de cette famille d'antibiotiques.

En résumé, notre travail a permis pour la première fois, la mise en évidence de voies métaboliques impliquées dans l'adaptation de Pa à son hôte et corrélées a des manifestations phénotypiques et cliniques, démontrant ainsi l'intérêt de la métabolomique pour l’identification de voies métaboliques d'importance clinique. Ces voies métaboliques constituent des cibles prometteuses pour le développement de futures thérapies anti-virulence ou de restauration de la sensibilité aux antibiotiques. Les métabolites identifiés constituent également des biomarqueurs cliniques potentiels prédictifs de la survenue d’exacerbation ou de la réponse au traitement, accompagnant ainsi une utilisation rationnelle des antibiotiques et une amélioration substantielle de la qualité de soin. Une étude prospective est en cours au CHU Grenoble-Alpes pour valider l’utilisation de ces métabolites comme biomarqueurs mesures directement dans les expectorations des patients.

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